dimanche 22 janvier 2012

Pour une déontologie de l'enseignement[1]





        La montée d'une réflexion sur les valeurs est inévitable[2]. Les enseignants vont-ils faire avec la déontologie ce qu'ils ont fait avec l'informatique, attendre qu'elle les dépasse ? La société, ou plutôt la civilisation occidentale tout entière, est en train de faire une révolution éthique qui prend deux formes, d'une part  l'aspiration  à des repères simples, d'autre part la multiplication des approches de conscience dans tous les domaines ; par exemple,  il était impensable, il y a encore quelques années que l'État ou les entreprises se mêlent de bioéthique, d'éthique des affaires ou de moralisation de la vie publique. Il n'appartient pas à une déontologie de l'enseignement de chercher les causes de cette aspiration même si elle  peut reconnaître l'importance de quelques précurseurs. Ainsi, divers acteurs du mouvement soixante-huitiste contestaient les finalités de l'enseignement. On leur répondait alors que le développement économique amènerait le bonheur. La société a  sacrifié au premier et elle n'a pas vu le second. C'est peut-être là que réside l'engouement actuel pour les protocoles, les chartes, accords, codes de bonne conduite et autre contrat de confiance. Rien ne va plus de soi.

                   Un peu comme l'écologie, l'élan éthique procède parfois d'un piètre souci consumériste. La réglementation  ne suffisant pas à contenir les dysfonctionnements de la cité on se retourne vers la conscience, c'est la version édulcorée du gendarme que l'on ne peut pas mettre derrière chaque citoyen, alors on tente de mettre un peu de réflexion dans l'esprit de tous. Cette intrusion de la droiture attire les foudres de détracteurs virulents. En effet, ils accusent les tenants de la probité de vouloir implanter un ordre moral. Il faut bien admettre que les plus prompts à parler de valeurs ne sont pas toujours bien intentionnés : sectes et partis extrémistes sont parmi eux. Pour autant, si l'on n'est ni fasciste, ni poujadiste, ni mystique, faut-il se priver de conscience ?

                   L'éthique travaille l'homme à deux niveaux. L'un est grégaire : quand les valeurs globales sont insaisissables la collectivité cherche des accords fragmentaires. L'autre niveau est subjectif et concerne les affres de celui qui hésite entre une tentation et une conviction. Alors que les grandes idéologies modernes font  faillite et que les religions anciennes ne refont pas vraiment surface, une nouvelle forme d'intelligibilité peut trouver sa place dans des notions qui permettent librement à chacun d'opérer un retour sur lui-même. C'est ici qu'apparaît l'utilité d'une déontologie de l'enseignement, se présentant simplement comme la formulation des valeurs qui animent les acteurs de la transmission du savoir, à l'égard des autres composants de la cité.  

                   Le travail  quotidien de l'enseignant l'accapare sans toujours lui garantir ni des revenus suffisants ni une forme de plénitude. à cette difficulté s'ajoute parfois une malédiction, il ne fait pas nécessairement le métier qu'il désire. à l'exception de quelques vocations largement épanouies, les profs font contre mauvaise fortune bon cœur. Combien préféreraient être ingénieurs, écrivains, journalistes, artistes ou avocats ? Pour avoir un emploi ils font le deuil de leurs rêves. Pas plus que dans d'autres métiers, l'enseignement n'est pas toujours un exemple de don de soi. Sans aucune culpabilité, les profs démotivés respectent les horaires et évitent la faute, pas plus. à l'opposé il y a les accros du boulot, ayant admis la soumission à la tâche, ils y trouvent un certain plaisir. Mais rien n'est simple car l'engagement illimité d'un enseignant peut donner des résultats déplorables.                                                                                                                                     

                   Dans un milieu fortement syndicalisé, la conscience professionnelle passe d'ordinaire pour un risque, d'abord parce qu'elle n'est pas une conscience politique, ensuite parce qu'elle est individuelle et ne féconde pas l'action groupusculaire, enfin parce qu'on la confond avec un état d'âme, donc avec une forme de piété. En effet, si le travail est un pis-aller, si l'employeur (notamment l'État) est ingrat, si le salaire est insatisfaisant, pourquoi parler du sens de l'enseignement. Ainsi on trouve de vrais professionnels qui n'ont aucune conscience professionnelle, parce qu'ils croient en conscience que la société les sous-estime. 

                   La dure expérience d'enseigner (c'est-à-dire parfois la fatigue et la déception) contribue  aussi à évacuer  le débat éthique. Les profs  invoquent la dure réalité du terrain pour expliquer qu'ils  n'ont pas le temps de se préoccuper du sens, puisque le quotidien les accapare. Ainsi, le feu de l'action réduit la déontologie en cendres. Des profs chevronnés reconnaissent souvent avoir fait des révisions déchirantes pour en arriver à une renonciation  totale sur le fond. Les intentions qu'ils avaient comme débutants se sont cassé le nez sur les nécessités : c'est le métier qui rentre, c'est le sens qui s'en va.

                   Une éthique de l'enseignement n'est envisageable que si elle est le corollaire de trois conditions irréfutables :

-Une condition épistémologique : il existe un savoir qui se distingue des croyances ou des intuitions, il n'est jamais définitif, il est intrinsèquement communicable ;

-une condition ontologique : tout être humain dispose de capacités lui permettant de recevoir des connaissances, d'en produire et d'en transmettre ;

-une condition déontologique : l'enseignement est une forme intentionnelle de cette transmission qui  exige un sens, une référence à des valeurs.

                   Une déontologie veut définir ce qu'est l'enseignement, où il commence, où il s'arrête, notamment en repérant l'ambiguïté ou l'illégitimité de certaines pratiques. Elle vise la transmission explicite du savoir, à tous ses niveaux et dans toutes ses formes. Tout opérateur de formation [3] peut s'y référer sans préjuger de sa culture propre, de ses usages didactiques de ses méthodes pédagogiques. Elle exclut tout rapprochement avec les doctrines de partis, les statuts de syndicats, les textes fondamentaux de groupes confessionnels ou les règlements des administrations. Elle met en exergue la probité, l'impartialité et la neutralité dans les domaines suivants : la transmission des connaissances, les relations entre enseignants, les modes d'exercices de l'enseignement, la communication avec les élèves et les produits de l'enseignement.

                   Le texte qui suit est un essai pour formaliser de ce que pourrait être une déontologie de l'enseignement, il ne vise d'aucune manière le seul cas des fonctionnaires de l'Éducation nationale en France (ou leurs collègues du secteur confessionnel), au contraire il a pour vocation une sorte de déploiement[4].





[1] Le texte qui suit est inspiré des recherches des membres de l'Observatoire déontologique de l'enseignement dont le but est d'examiner l'enseignement, public et privé, de la maternelle à l'université sans écarter les filières spécifiques. Il n'a aucun lien avec les partis, les syndicats, les obédiences ou les administrations. Les membres qui le composent sont des spécialistes de la transmission des connaissances à tous niveaux (préélémentaire, élémentaire, secondaire et supérieur), sous toutes ses formes 'classiques, modernes, techniques continues, alternées ou adaptées à des usagers particuliers). Au-delà des visées déontologiques, l'Observatoire a pour objectif de proposer une protection du titre d'enseignant.
[2] Se référer aux annexes.

[3] On parle parfois de formateurs pour les enseignants qui exercent des organismes extra-scolaires. L'utilisation de ce terme cache parfois une répulsion face au mot professeur, toujours susceptible de remémorer la souffrance que certains ont connue durant leurs études. On trouve aussi les mots intervenant et plus rarement instructeur ou moniteur. L'appellation animateur qui a connu une grande vogue dans les années soixante-dix se cantonne  aux activités de loisir. La prolifération des actions publiques pour l'insertion des jeunes, la formation continue ou du traitement du chômage des adultes, rend probable la création prochaine d'un véritable statut de formateur qui se démarquerait de celui des professeurs de l'Éducation nationale, des éducateurs spécialisés et des animateurs socio-éducatifs.

[4] Sa présentation sous forme de paragraphes numérotés devrait en faciliter la lecture. Certaines corrélations thématiques tiennent à l'apparition d'un même principe clé dans plusieurs champs d'investigation. Ainsi, les questions pécuniaires peuvent apparaître, aux points 31, 50 et 62 respectivement dans les passages définissant l'enseignement en général, ceux abordant les modes spécifiques de transmission du savoir et enfin ceux relatifs aux produits de l'enseignement.

1 commentaire:

  1. C'est déconcertant, ce site désert... J'y aboutis en venant du Café pédagogique après avoir lu les 10 points des préconisations de G.Longhi, dont certaines me semblent évidentes mais bien difficiles à mettre en oeuvre (celle sur l'architecture, nos établissements, secondaires en tout cas sont des aberrations sinistres, celle sur l'évaluation pourrait être précisée en ajoutant la toute bête nécessité d'une attitude encourageante au quotidien en classe, la n° 9 me semble floue). J'ai connu l'auteur plus mordant et convaincant...

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